L’Association des Femmes Africaines Face au Sida (AFAFSI/BF), en réponse à l’appel à projet « Genre et VIH » 2014 lancé par la Fondation de France, a été retenue pour conduire un projet pour « Répondre aux violences faites aux femmes à Ouagadougou à travers un accompagnement social aux couples et une implication des hommes dans les problématiques de VIH/sida et de santé sexuelle et reproductive ». Ce projet dénommé « Beogo Néeré » (Traduction littérale du mooré en français « Demain sera meilleur ») est entièrement financé par la Fondation de France pour une durée de 03 ans (2015 – 2018).
Contexte du projet
De l’expérience de AFAFSI dans la prise en charge du VIH, une des leçons apprises est que les différents problématiques du VIH (prévention, prise en charge, accès aux soins) sont étroitement liées aux violences basée sur le genre. Dans ce sens, la prise en compte de l’entourage du patient VIH+ permet de mieux cerner le problème et d’y apporter une réponse adéquate.
Dans le domaine de la santé de manière générale et plus particulièrement dans celui de la prise en charge du VIHI/sida, il est usuel de constater qu’au sein du couple, la démarche de diagnostic et de soins a le plus souvent été individuelle. En effet, au niveau du dépistage où les femmes qui sont celles qui fréquentent le plus les centres de dépistage, expriment qu’elles rencontrent d’énormes difficultés d’une part, à convaincre leur conjoint à se joindre à elles et d’autre part à leur annoncer le résultat. Aussi, il arrivent que les hommes et les femmes infectés et sous ARV, cachent à leur partenaire la prise des médicaments en utilisant plusieurs stratagèmes comme se dédier des espaces interdits au partenaire dans le domicile ou dissimulant les ARV dans les emballages d’autres types de produits. Des expériences de vécu que les bénéficiaires de AFAFSI ont bien voulu partager, il ressort que le partage de la sérologie et la mise sous traitement dans bon nombre de cas, constituent des sources de souffrances psychologiques et parfois physiques. Ces souffrances sont des manifestations des cas de violences dont sont victimes surtout les femmes. Ces violences se traduisent principalement par les répudiations, l’expropriation, la séparation avec les enfants, les humiliations, les accusations de sorcellerie…
Cette situation justifie l’impérieuse nécessité de promouvoir une approche qui permette de considérer le couple Homme/Femme comme une entité à toucher par les interventions. Dans notre contexte, la préparation au mariage constitue un des moments privilégiés dans la vie du couple où les futurs mariés partagent des cadres communs d’apprentissage de la vie commune. Ce cadre leurs est offert par des institutions (mairies, églises, mosquées) qui, dans les 45 jours qui précèdent le mariage, mettent les couples candidats au mariage en contact avec des personnes ressources pour être accompagnés. Ces personnes ressources (hommes et femmes) sont des conseillers psychosociaux et spirituels qui, par le biais de sessions de formation ou de séries d’entretiens avec les partenaires, leurs donnent des informations et leurs prodiguent des conseils pour réussir leur future vie de famille. Ces instants de préparation au mariage sont donc des opportunités à saisir pour aborder la thématique de la violence basée sur le genre au sein du couple.
Au Burkina Faso, Il convient de noter que la thématique de la violence basée sur le genre a le plus souvent été abordée auprès d’une certaine élite. La population en général, n’a l’information qu’à travers la presse qui ne se contente le plus souvent qu’à définir les concepts. Alors que la violence dont il est question ne se vit que dans la communauté, la famille, le foyer et le couple. Dans les couples, la méconnaissance du sujet se traduit par des situations dans lesquelles des personnes vivent pendant longtemps des difficultés qu’ils assimilent à des valeurs culturelles. En effet, dans la communauté, la méconnaissance du sujet rend les populations observatrices des situations de violence à son sein et même encore pire complices des cas de violence. En effet dans la communauté « moaga » (les mossis qui sont majoritaire dans la zone cible de nos interventions terrains), beaucoup d’hommes et de femmes pensent que le comportement du mari est justifié lorsqu’il bat sa femme si elle désobéit et/ou refuse d’avoir des relations sexuelles. Aussi, arrive-t-il assez souvent que la société jette le blâme sur les femmes et les stigmatise, en cas de violence physique et sexuelle, plutôt que sur les agresseurs masculins. Enfin, la violence au sein de la famille est souvent considérée comme une affaire privée dans laquelle « les étrangers » (personne en dehors de la famille, de la communauté…) ne devraient pas intervenir. La nécessité d’impacter la communauté en initiant et en soutenant des dialogues communautaires afin de changer les normes sociales pour permettre aux victimes d’obtenir de l’aide auprès des familles et des services communautaires, s’impose.
L’un des défis majeurs qui se posent dans les approches couples (Homme/Femme) est l’implication et la responsabilisation des hommes dans la démarche de Santé. Dans la prise en charge du VIH/Sida, le défi de la fréquentation des centres de santé (communautaire) par les hommes a mainte fois été démontré. Dans un article intitulé «La présence des hommes dans les établissements de soins de santé et les représentations sociales au Burkina Faso » (B. Bila, 2007), il ressort que les hommes ressentent beaucoup plus de difficultés que les femmes à recourir à des établissements de prise en charge du VIH/Sida et que la qualité du suivi des hommes est souvent plus faible. Ainsi sont-ils beaucoup plus réticent à pratiquer le test et à obtenir des soins. L'analyse des mécanismes socio-culturels qui expliquent cette situation met en évidence une représentation sociale négative de l'infection à VIH, considéré par les hommes infectés comme une maladie indigne. Beaucoup décrivent leur séropositivité comme une «défaite» au détriment de leur image sociale. La peur d'être vus dans une situation humiliante dans des établissements de santé pour le VIH, qui sont comparables à des lieux de «charité», intensifie aussi ce sentiment d’échec. Ces sentiments sont également ressentis par les hommes qui doivent s’impliquer dans la prise en charge de leur conjointe infectées. Un enjeu majeur pour palier cette situation est de rendre les centres de santé attractifs pour les hommes.
Aussi, ce rapport des hommes vis – à – vis des centres de santé est opposable à leur rapport avec la ligne verte d’écoute « Info SIDA ». En effet, en près de 20 ans de promotion de la ligne de Relation d’Aide à Distance (RAD), il apparait que les hommes constituent environ 80% des appelants contre 20% pour les femmes. En affinant le message à l’endroit des hommes, la ligne s’affiche ainsi comme une opportunité à saisir pour les toucher. Les informations sur les conditions du test de dépistage et la compréhension de la thématique émergente de la violence basée sur le genre sont des besoins exprimés par les appelants de sexe masculin à travers la ligne. Alors que les femmes s’intéressent beaucoup plus à avoir des arguments pour convaincre leur conjoint à se joindre à elle dans leur démarche de recherche de leur « bonne » santé, celle du couple et de la famille.
Le présent projet se propose de toucher les hommes et les femmes en couple dans les quartiers et les Arrondissements de la ville de Ouagadougou d’une part et d’autre part par le biais de la ligne verte (qui a une portée nationale) de toucher les hommes et les femmes du Burkina Faso. Dans la ville de Ouagadougou, les activités terrains seront menées en plus du quartier qui abrite le siège de AFAFSI (Arrondissement 1), dans les quartiers périphériques. Ainsi des 12 Arrondissements que compte la ville, 08 Arrondissements (les Arrondissements 1, 4, 7, 8, 9, 10, 11 et 12) regroupant 30 quartiers ou secteurs seront touchés (Voire en annexe le découpage administratif de la Commune de Ouagadougou).
L’approche innovante que l’AFAFSI propose dans le présent projet se résume dans les points qui suivent :
- Prévenir la violence faite aux femmes en apportant de l’information ciblée au couple pendant leur temps de préparation au mariage ;
- Augmenter la fréquentation des hommes aux centres de santé en en les rendant plus attractifs pour les hommes ;
- Donner des informations aux hommes et aux femmes à travers des nouveaux intermédiaires et nouveaux canaux de communication telle que la ligne d’écoute.
La thématique émergente de la violence basée sur le genre est de plus en plus abordée par les structures associatives et les institutions au Burkina Faso. Ainsi à la volonté politique exprimée à travers la mise en place d’un ministère du gouvernement dédié au genre s’est associé une mobilisation de la société civile qui par des actions de plaidoyer arrivent à se rendre visible par l’opinion publique. Parmi ces actions de plaidoyer il convient de noter la campagne annuelle de communication dénommée « les 16 jours d’activisme contre la violence faite aux femmes » lancée par les Nations Unis en 1991 et commémorée chaque année au Burkina Faso. Une des organisations de la société civile active dans la lutte contre les violences basées sur le genre est la Marche Mondiale des Femmes/Action Nationale du Burkina Faso (MMF/ANBF) qui est un réseau d’associations qui luttent contre la pauvreté et la violence faite aux femmes. Cette organisation a réussi à mettre en place une Coalition Nationale contre les Violences Faites aux Femmes et aux Filles (CN/VFFF) regroupant divers organismes non-gouvernementaux dont AFAFSI, afin de mener une lutte concertée contre les différentes formes de violence faites aux femmes et aux filles.
En 2012, en réponse à la situation d’urgence née de la crise des réfugiés maliens au Burkina Faso, en conformité avec les directives de l'Inter-Agency Steering Committee (IASC) sur la Violence Basée sur le Genre, le gouvernement avec le soutien des agences des Nations Unies ont initié la définition des Procédures Opérationnelles Standards (POS) pour Prévenir et Répondre à la Violence Basée sur le Genre. Ces POS dont la version finale a été adoptée le 14 octobre 2013, ont pour objectif la mise en place d´un dispositif institutionnel visant à améliorer le cadre de protection des personnes victimes de violences basées sur le genre en situation d’urgence humanitaire ou non, dont notamment les réfugiés, déplacés, rapatriés, demandeurs d´asile, femmes, jeunes filles, garçons. Elles sont applicables pour une première phase dans deux sites de réfugiés à Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Aussi, bien qu’il soit usuellement admis que ce sont les femmes qui sont le plus souvent victimes de violence, ces POS prennent en compte les cas des violences faites aux hommes. Ce processus coordonné de manière conjointe par HCR, UNFPA, UNICEF et MPFG (Ministère Burkinabé de la Promotion de la Femme et du Genre) devrait par la suite à l’issu de l’urgence être généralisé. Le présent projet est défini pour s’intégrer dans ce dispositif institutionnel et apporter beaucoup plus de proximité avec les bénéficiaires dans les interventions. Par le biais de la ligne verte, le projet offrira une opportunité unique de faire de la Relation d’Aide à Distance avec toutes les personnes ayant un questionnement sur la thématique de la violence basée sur le genre ; cela sur toute l’étendue du territoire 24h/24 en prenant en compte les langues locales.
